Chacun de ses pas résonnait dans ce couloir miteux, tant parcouru, subit. Rien ici ne sentait l’affaire justement gagnée. Le Manhattan judiciaire, tout comme cet endroit, n’avait rien de bien clean. Façade plastique d’une justice corrompue, les juges se succédaient dans un bal incessant de dossiers tous aussi foireux les uns que les autres. Meurtres, vols à l’arrachée, bagarres de rue, deal… force était de constater que ses clients ne faisaient pas parti du haut du panier. Bon nombre d’entre eux lui faisant d’ailleurs remarquer, arguant que personne n’écouterait des parias de Harlem, ou que leur condition en faisait de minables coupables. Tant de journées passées à entendre les mêmes discours, sans rien écouter, à laisser ces pauvres bougres s’expliquer, sans aucun doute sur l’issue de leur procès. Autant de papier imprimé, relatant avec une précision aléatoire les faits de ces délits sans réel intérêt.
Ce même papier à en-tête richement décoré qu’il tenait dans sa main froide, l’invitant à comparaître. Une nouvelle audience foirée d’avance. Cigarette en coin, il feuilletait les détails de l’audience, se laissant guider mécaniquement vers la porte de son bureau. Une cendre se détacha du papier incandescent, arrachée au corps calciné de tabac qui la tenait. Pas un seul courant d’air ne vint perturber sa descente, qui ne s’acheva qu’une fois écrasée. Thomas regarda la tâche, désabusée. Comme si cette maudite cendre l’avait sortie d’une autre de ses rêveries. L’air las, il la balaya d’un revers de main, étalant la poussière grisâtre à la manière d’une trainée de sang derrière un corps trainé sur un béton irrégulier.
Son royaume était lui aussi fait de cendres et de sang, habité par les hurlements silencieux d’âmes emprisonnées. Le même type de cris d’effrois étouffés qu’il retint en ouvrant la porte de son bureau.
Le
journaliste était là. Cette sous-race d’enquêteurs constamment là où on ne les attend pas. Un peu comme à cet instant, où Thomas espérait boire son café soluble et bas-prix tout juste coulé par la machine d’en face. Non, l’énergumène avait préféré lui voler ce moment en se faufilant vicieusement pendant qu’il était retourné à la photocopieuse.
« Vous jeter hors de ce bureau me prendra bien moins de temps Partridge. » Les hostilités étaient lancées. Ce n’était clairement pas le bon moment pour s’incruster. Qui plus est pour parler de sa vie privée, et surtout de sa femme qu’il n’avait en réalité pas visitée depuis des mois.
Nous pourrions l’envoyer la voir, allongé sur le lit d’à côté si tu n’étais pas si faible. Laisse-moi lui apprendre l’insolence. Si l’idée de laisser son démon intérieur aspirer toute vie se trouvant dans ce corps imparfait provoqua en lui une forme de plaisir, elle fût balayée à la simple évocation d’un mot.
Bacchanales.
Finalement, il n’est peut-être pas si bête que cela.
Cela faisait des semaines qu’Hadès bataillait pour l’y trainer. Peut-être l’excitation d’être
invité aujourd’hui des festivités qui lui avaient été refusées dans sa précédente. Les
Sons les organisaient, et il ne faisait nul doute qu’un avocat dans ce type de soirée ferait tache. Même commis d’office.
« Le Garrick Theater n’est pas un endroit pour les enfants. Je pensais que la récente disparition de votre collègue là-bas vous avait appris la leçon. » L’affaire avait déchaînée l’opinion publique, les Sons of Empyree s’en étant sorti totalement indemnes faute de preuves. Il était hors de question qu’il y mette les pieds, les ambitions d’Hadès étant trop alignées avec celles du gang.
Il s’assied à son bureau en buvant le café abject auquel il s’était habitué. D’un air suffisant, il regarda la porte encore ouverte, et fit un geste au Partridge.
« J’ai à faire, merci pour la visite » dit-il sans aucune conviction. Car au fond, avoir de la visite dans cette journée morne, lui faisait du bien.
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