001. bien qu'issue d'une famille aux deux parents musicien et au frère chanteur, nour est incapable de jouer d'un instrument ou de sortir une seule note qui sonnerait à peu près juste. faire un karaoké avec elle s'apparente à de la torture, au grand damne de sa famille qui tente malgré tout de la faire participer aux concerts familiaux à l'occasion des grands rassemblements. systématiquement une très mauvaise idée, mais l'intention la touche, ce qui la fait chanter encore plus faux à cause de l'émotion. 002. elle passe la plupart de son temps au cinéma, en concert ou chez les disquaires de son quartier. nour est une mine d'information dans le domaine cinématographique et musical, elle se passionne pour tout et parvient à retenir des détails que personne en dehors d'elle ne trouve pertinent. et oui, c'est le genre de personne à rester jusqu'à la fin du générique du film par respect pour toutes les personnes qui ont travaillé dessus. et pas juste parce que c'est un marvel et qu'elle veut connaître la scène post-générique. 003. à 20 ans, nour est tombée éperdument amoureuse de mike. mike était discret, cultivé, bien élevé et gentil. nour était solaire, drôle, prête à donner de l'amour par tonnes. mike et nour se sont aimés pendant quelque mois. puis mike a cessé de se contenter d'aimer nour : il a voulu la posséder. la partager avec le reste du monde ne lui semblait plus être une éventualité. la jalousie maladive du garçon empoisonna nour dans le plus profond de son être. déchirée entre son amour pour lui et son amour pour le reste du monde, elle tenta de contourner ses règles pour voir ses proches, tout en justifiant vainement le comportement de son compagnon. elle ne pouvait pas voir l'obscurité chaque jour plus épaisse qui engloutissait sa relation. un autre jour encore, apprenant que nour était sortie sans le lui avoir dit, mike la gifla. la lèvre de nour explosa sous le coup, la surprise la laissa muette, pétrifiée. mike pleura en s'excusant, effaré par la quantité de sang s'échappant de la lèvre fendue de nour. et elle le pardonna. par amour. par aveuglement. parce qu'elle n'était pas prête à vivre sans lui, pas prête à admettre ce que tout le monde semblait avoir déjà vu et compris autour d'elle. mike lui promis que jamais cela ne se reproduirait. mais mike mentait. et nour aussi mentait en lui disant qu'elle le pardonnait après chaque coup. ce n'était pas du pardon. c'était de la peur, de l'emprise, mais pas du pardon. 004. l'enfer dura deux ans. deux ans pour que nour accepte, digère et soigne la plaie béante la fendant de part en part, assez pour la convaincre de partir. la problème, c'est que ce n'est jamais totalement terminé avec ce genre de personne. mike n'accepta pas que nour le quitte, elle n'avait tout bonnement pas le droit de lui faire ça. il l'aimait, ça ne suffisait donc pas ? non. nour avait compris désormais que ça ne suffirait jamais. ça n'effacerait jamais l'humiliation des coups, l'humiliation des insultes, l'humiliation de l'intimité bafoué. elle se promit que jamais plus elle ne s'abandonnerait à l'amour. elle ne cesserait pas d'aimer, mais toujours en restant complète. mike protesta. il la suivit partout, l'attendant devant son travail, devant l'immeuble ou elle était alors retournée vivre avec ses parents. jusqu'à ce que nour aille se plaindre au commissariat. peut être que mike prit peur. peut être qu'il décida juste de devenir plus patient, plus discret. mais nour ne le revit plus dans son sillage après ce jour. parfois, quatre ans après leur rupture, elle croit encore sentir ses mains déchirer sa chaire, ses yeux la suivre dans la rue, son souffle s'abattre contre sa nuque lorsqu'elle est seule dans son lit. alors elle ferme les yeux, prend une grande inspiration et laisse la voix féline dans le fond de son crâne lui murmurer qu'elle n'a pas à s'en faire. que si mike réapparait, il ne vivra pas suffisamment longtemps pour lui faire quoique ce soit.  005. contrairement à ce que beaucoup de monde préfère croire, nour a vraiment aimé ses études de comptabilité. avec les chiffres, il n'y a aucune ambiguïté, et puis remplir des pages et des pages de tableaux petit à petit, ça a quelque chose de très satisfaisant pour elle. à l'époque où elle était avec mike, la compta, c'était la seule chose qu'elle parvenait vraiment à maîtriser. tant qu'elle se sentait en mesure de résoudre une équation, même la plus simple, elle pouvait se persuader qu'une part d'elle subsistait derrière les couches et les couches de déni.  006. par pure déformation professionnelle, elle fait des tableaux pour absolument tout : ses budgets, son emploi du temps, les films qu'elle a vu, les albums écoutés... à chaque fois, elle prend note sur un vieux carnet à moitié défoncé qu'elle trimballe partout avec elle pour ne pas oublier l'information qu'elle restitue ensuite avec application dans ses petits - monstrueux - tableaux excel. son frère pense que c'est à la limite du pathologique. mais il est quand même bien content qu'elle se charge de ses finances donc il observe un silence respectueux à chaque fois qu'il la voit s'exciter sur son clavier 007. l'été, pendant ses vacances, nour par en tournée avec son frère hicham et sa troupe de musicien. il ne remplit pas les stades, mais nour adore écouter son frère se déchainer sur les scènes de bars parfois carrément miteux dans lesquels il se produit. une bière à la main, elle chante - silencieusement - par dessus les paroles d'hicham et a parfois le privilège de monter sur scène avec une guitare qu'elle fait semblant de gratter - quand hicham est vraiment de très bonne humeur. ces quelques semaines volées en compagnie de son grand frère comptes parmi les instants les plus précieux de la vie de nour. et elle sait qu'il en va de même pour hicham parce qu'il le lui dit dès qu'il a un coup dans le nez en pleurant à moitié.  008. l'une des spécialités de nour est de se mettre des mines extrêmement violentes en soirée, qui la laissent pantelantes la tête dans les chiottes en attendant que son foie reprenne vie. la limite entre pompette et arraché, elle connait pas - même si elle aime prétendre le contraire. bourré, elle a l'alcool amoureux mais aussi l'alcool vomito, ce qui peut donner des scène d'anthologie dont elle ne se souvient souvent pas et que les autres auraient préféré oublier. malgré tout, on aime voir nour en soirée. parce que même si elle pourrit les chiottes, elle danse, chante - toujours aussi mal - fédère les autres autour du projet commun de passer la nuit la plus inoubliable de leur vie. on a envie de la suivre sur la piste, de faire du twerk avec elle pour finalement lui tenir les cheveux pendant qu'elle rend tout en vous disant qu'elle vous aime de tout son cœur. 009. nour ne sait pas nager et une peur bleue de tout ce qui est suffisamment profond pour qu'elle puisse s'y noyer. mettre un pied dans la mer, même pour rester sur la plage, c'est toujours une épreuve pour elle : en plus d'imaginer avec un peu trop de détails tout ce qui serait capable de la bouffer dans les fonds marins, la perspective de se faire emporter par une vague et de mourir en sentant ses poumons se remplir d'eau salé... rien que d'y penser elle pourrait tourner de l'oeil. prendre le bateau c'est toujours compliqué aussi. le ferry pour rejoindre staten island, elle ne l'a pris qu'une fois et elle a pleuré tout le long du trajet, roulée en boule entre deux bancs. autant dire que pour la croisière sur le nil que ses parents ont toujours rêvé de faire en famille, c'est très mal parti. 010. nour est végétarienne. pas vraiment par conviction, plus parce qu'elle est juste incapable de cuisiner de la viande ou de la volaille. le simple fait de sentir la texture dans ses mains, même avec des gants lui donne envie de vomir. et à force de ne pas en cuisiner, elle a fini par ne plus en consommer du tout, même au restaurant, préférant une énorme salade avec plein de croutons à un hamburger.