Mary Ryuzaki

001. La créature n'a pour ainsi dire aucune forme de considération pour l'humaine et sa vie passée. Les quelques pièces de puzzle éparses et désassemblées ont sciemment été ignorées, tantôt par fainéantise tantôt par mépris, à tel point que de Mary Ryuzaki, il ne lui reste finalement que les papiers d'identité et le compte en banque. Il y avait bien une femme -Andrea-, prise une ou deux fois, avant qu'elle ne la lasse de ses reproches. A ce jour, Mary -ou plutôt Yamata no Orochi- est en instance de divorce, et l'affaire s'étend déjà sur plus d'un an. Elle aurait pu la tuer. Elle mentirait si elle disait qu'elle n'y avait pas songé, d'ailleurs. Mais ironiquement, c'est dans ces affres que la créature trouve une lueur d'intérêt à cette petite chose fragile. Alors elle souffle chaud puis froid, s'amuse de son jouet qui n'a toujours pas fini de l'ennuyer. La dévorer sera d'autant plus savoureux.

002. Mary a l'égo divin et les poches pour s'offrir un temple bondé de fidèles à son entretien. Ça ne lui sert à rien, bien sûr, mais il lui sied de faire comme si. Elle s'exhibe donc de toutes les façons possibles, dans tous les endroits qui comptent, et notamment au Pierre, où elle a pris soin d'enraciner ses mauvaises habitudes. À l'évidence, la clientèle plus légitime, plus divine, la mire à l'oblique et tire dans son dos quelques rictus moqueurs, mais est-elle au moins aussi concernée par leurs opinions qu'ils sont, eux, soucieux de l'humanité. Qu'ils jactent, qu'ils continuent de railler son nom. Tôt ou tard, ils se rendront compte que ce sont là les véritables prières et qu'ils sont, en réalité, autant fidèles que les putains du Pierre.

003. Mary a faim. Constamment. Et se frustre de ne pas savoir précisément de quoi. Des fois, de simples rapports avec une femme la rassasient un jour puis ne lui suffisent plus le suivant. Des fois, elle s'impatiente de tâtonner et se contente de consommer les chairs, littéralement. Peut-être que c'est l'emprise d'un esprit conquérant qui cherche à asservir, peut-être que c'est le contact des griffes qui ne demandent qu'à briser une nuque, peut-être que c'est la passion qui tire tantôt haineuse tantôt éprise. Vaut-il mieux finalement ne pas attirer les faveurs de la créature, car elle montre un talent inné lorsqu'il s'agit de faire contracter des dettes indicibles à autrui, sans même que l'on ne s'en rende tout à fait compte, jusqu'au moment fatidique où l'on doit s'acquitter de la note. Pour l'instant, celle qui lui a survécu le plus longtemps est Lavinia Tsai, une anthropologue qui la fascine et l'obsède comme au premier jour (sinon davantage), alors qu'à situation égale, elle se serait lassée de n'importe quelle autre. A vrai dire, si on lui demandait, Mary elle-même serait bien incapable de pointer ce qui rend Lavinia si spéciale. Aussi préfère-t-elle feindre que cette dernière ne l'est pas. Spéciale.

004. La créature a souvent des obsessions -le plus souvent encore, des personnes- chroniques. Huit. Une par tête, comme lorsqu'elle les avait effectivement, se figure-t-elle. Parfois, il y en a moins que huit. Sept, six ou trois. Mary compte méticuleusement, parce que ça veut dire que la même hante deux crânes. Ou trop d'espace dans celui de son vaisseau, en l'occurrence. La plupart sont des distractions bienvenues, des résidus d'indices ou des brèves d'espérance sur ce qui pourrait l'amener à satiété. Ce sont les autres, les monomanies plus prégnantes et vivaces, qu'elle doit monitorer avec attention. Car elle a vite fait de déployer des efforts colossaux à les contenter et, après coup, de constater des ruines laissées par son état de frénésie.
1ÈRE TÊTE - le feu (火 hi) - Lavinia Tsai
2NDE TÊTE - l'eau (水 mizu) - Andrea Falcón
3ÈME TÊTE - la terre (地 chi) -
4ÈME TÊTE - le vent (風 kaze) - Alexandra Yang
5ÈME TÊTE - la foudre (雷 rai) -
6ÈME TÊTE - le poison (毒 doku) - Lavinia Tsai
7ÈME TÊTE - la lumière (光 hikari) - Lavinia Tsai
8ÈME TÊTE - les ténèbres (冥 mei) - Alexandra Yang

NOTES PARTIELLES DE LA CRÉATURE
005. Mary est riche. Riche d'avoir hérité d'un père industriel du jean.
006. Mary est morte bêtement. Sur le rapport, on a noté qu'elle avait glissé en allant chercher un yaourt.
007. Mary est mariée. A une emmerdeuse en puissance.
008. Faim. Faim. Faim. Faim. Faim.
009. Mary est médiocre. Le genre à se contenter d'un foodtruck de nouilles alors qu'elle pourrait ouvrir un établissement gastronomique. Fait.
010. Mary est misanthrope. Deux amis en tout et pour tout. Un Dan. Une Sophie. Ou Sophia. Couper les ponts.
011. Mary est fille unique. Peut-être que bâtard de papa a laissé d'autres morpions. A surveiller.
012. Faim. Faim. Faim. Faim. Faim.
013. Mary a la garde-robe la plus cheap du monde. Et en plus, elle a mauvais goût. Rectifié.
014. Mary a cinq chats. Ok, mais non.
015. Faim. Faim. Faim. Faim. Faim.
016. Mary a quinze cartes bancaires et autant de comptes remplis avec autant de chiffres. Le principe débecte, mais c'est quand même pratique dans le monde moderne. Rappel : retirer pour cacher du liquide.
017. Faim. Faim. Faim. Faim. Faim.
018. Mary est aculturée. Pire qu'une banane. Ironique, quand on habite le soi-disant quartier de la culture.
019. Faim. Faim. Faim. Faim. Faim.
020. Faim. Faim. Faim. Faim. Faim.
021. Mary a une collection de sakés. Autre témoignage de son mauvais goût. A brûler. Fait.
019. Faim. Faim. Faim. Faim. Faim.
020. Faim. Faim. Faim. Faim. Faim.
019. Faim. Faim. Faim. Faim. Faim.
022. Mary n'existe plus. L'insignifiante n'existait déjà pas beaucoup, de toute façon.