l'avait faim, river, il pensait qu'au moment où la journée s'finirait, parce qu'il savait qu'ensuite, il mangerait bien. alors, pendant des heures, il fixait l'horloge au mur, seul repère temporel dans cette grande usine aux volets toujours fermés, comme si les patrons avaient peur qu'les employés s'fassent la malle.

il ne lui fallu qu'une poignée de secondes, à la fin de ses horaires, pour ranger son matériel et courir vers la sortie, sous les regards agacés des responsables.

- bah quoi ?
- l'heure, c'est l'heure !

et il ne comptait certainement pas faire comme tous ces débiles qui restaient toujours un quart d'heure de plus, pour... aucune raison valable. il était pas payé pour c'travail en plus, il n'voyait pas, alors, pourquoi il devait s'tuer à la tâche.

dehors, la nuit était déjà tombée, et il faisait assez froid, l'hiver n'était pas encore vraiment fini, et l'gamin était plutôt content d'se dire que ce soir encore, il aurait un toit sur la tête. il savait qu'il abusait clairement de la gentillesse de guillermo, il savait que ça n'se faisait pas, mais en même temps, il passait d'bons moments là-bas, et il mangeait bien. il s'mit à brailler en voyant son collègue arriver.

- putain guillermo, ça fait 150 ans que j't'attends.
- dans l'froid.
- dans l'hiver.
- j'vais faire de l’hypothermie.

l'avait toujours eu ce p'tit côté théâtral, river, à toujours exagérer, heureusement que guillermo le connaissait bien, et qu'il savait qu'il plaisantait. lorsque ce dernier ouvrit les portes de sa voiture, l'blondinet se jeta dedans, comme s'il faisait moins froid, sauf que... pas vraiment.

- bon alors.
- passons aux choses sérieuses.
- on mange quoi ce soir ?

y'a de quoi prétendre au gag de répétition, à la chute qui change jamais vraiment mais qui pourtant prend d'autres nuances. de la gueule de bois aux remarque mal barrées, d'un concours de culture g à un cumul d'anecdotes qui s'emportent dans la tombe. sait jamais vraiment quand river se décide à venir chez lui, chez eux, sait jamais vraiment quand un beau matin y se dit qu'un canap' ça fait l'affaire, toujours mieux qu'un bout de rue ou qu'un rbnb craignos chopé à la volée, forfait ruelle aux piqûres vides juste à côté. l'a son bout de sac sur son épaule, la mâchoire qui s'arrache quand y baille et le grincement de dents qui devient automatique quand y passe la porte de sortie. l'a jamais aimé les horaires d'aprem, guillermo, la sensation de foutre en l'air sa journée pour moins de cent boules, l'endormissement après vingt heures et la rebelote du bras robot mécanique qu'assemble deux caisses. l'a les sourcils qui se haussent quand il entend river brailler, l'a fini par s'y faire à sa voix qu'a de quoi réveiller les morts pour leur faire danser la java. y'a la portière qu'il ouvre d'un côté, déverrouille le tout avant de se caler siège conducteur.

- eh beh,
- t'as encore le courage d'piailler ?
- ça s'voit qu't'as au moins attendu 150 ans vu tout c'que t'as à dire,
- 'dingue ça.

y se met à ricaner sans fond ni but, la ceinture qu'il attache et y'a ses omoplates qui craquent quand y met les clefs dans le contact, les fait tourner et s'attarde pas sur les alentours, rien de beau à souligner sur le parking de l'usine, rien de beau qui mérite un arrêt sur image. l'attend pas bien longtemps avant de se mettre sur la route, la hâte de s'évanouir dans le fond de la douche et le regard de coin posé sur river. l'a au moins le chic d'éveiller un surplus de sentiments contradictoires, entre l'outrage et la compassion.

- j'sais pas si adel a préparé un truc,
-
- sinon,
- y reste de la purée d'carottes j'crois,
- et des pommes,
- sauf si tu veux des yaourts,
-
- mais natures,
- et j'crois qu'ils sont plus bons,
-
-
-
- faut vraiment que j'fasse les courses.

il ne lui fallu qu'une poignée d'secondes pour rentrer dans la voiture, et râler, une nouvelle fois, parce qu'il ne faisait pas plus chaud à l'intérieur. il le savait, pourtant, mais ça n'l'empêchait pas de geindre. c'était comme ça qu'on l'aimait, après tout, enfin, à peu près.

- tu t'plains mais j'sais que ça t'fait rire.
- quand j'piaille.
-
- c'pas les oiseaux qui piaillent, d'ailleurs ?
- cui cui ?
- c'est ça que t'attends d'moi en fait ?

et il s'marrait, s'rendant bien compte d'sa bêtise, de tout ce qu'il racontait, l'avait jamais été une lumière, river, mais il pouvait au moins s'vanter d'savoir faire rire l'assemblée, même si, à la longue, ça pouvait être épuisant, m'enfin, ça f'sait passer le temps.

- attends.
- hein ?
- t'as un invité d'marque, et tu lui proposes...
- un vieux yaourt périmé ?
- j'suis outré.

et l'gamin jouait bien l'mec déçu, presque trop triste pour la situation, on aurait dit un enfant, déçu que sa mère lui propose une simple mandarine pour l'goûter. c'était exactement l'effet que ça lui faisait. c'était trop cruel, vraiment trop cruel.

- non guillermo.
- c'pas possible,
- même toi tu veux pas d'ça.
-
-
- avoue.
- j'sais que tu l'veux, ton giga mcdo.

n'importe qui préférerait ce choix à d'la purée de carottes et une pomme triste, même si c'était pas raisonnable.

l'aurait préféré le cuicui plutôt que l'argumentation basée sur du flan, surplus de vide tartiné dans un bout de néant. sait pas trop pourquoi il enchaîne la causette, river, sait même pas comment il y trouve la force pour y pêcher des conneries comme il en pond à la pelle, de quoi faire concurrence aux plus mauvais scripts de films comiques de la décennie. peut pourtant pas s'empêcher d'en ricaner, laisser un genre d'attendrissement inconnu au bataillon venir lui taper dans le bide et dans les poumons, semblant de réchauffement climatique à allure personnelle, rien de bien méchant, assez pour faire gober que l'été sera à peine plus beau. y'a ses sourcils qui se haussent quand y fait face à l'argumentaire, bide au bord de la crise qui réclame l'image qui lui frappe à l'esprit, plus une affiche pub qu'un véritable combo ice-tea potatoes.

-
-
-
-
-
- ouaaaaais bon,
- si t'utilises le joker invité d'marque aussi.

jette un coup d'oeil dans le coin, prend la direction pas vraiment opposée, pas vraiment habituelle non plus, le domac qu'est pas loin et mérite pas une somme colossale en essence, qu'hésite à envoyer un message une fois garé. se doute qu'adel est à l'abattoir à compter les points, vider ses poches pour mieux les remplir. y baille à s'en quasi péter la mâchoire, résidus de larmes qui viennent poper dans les coins de ses yeux, jure qu'il fera pas long feu, de quoi l'éteindre alors qu'il vient à peine d'enflammer la bougie.

- j'ai encore entendu margie s'plaindre de toi,
-
- ça commence à chauffer un peu pour ton cul,
- et j'ai aucune pirouette à t'proposer pour rentrer dans ses petits papiers,
-
- parle canaris avec elle tiens,
- comme t'as dit là,
- cui cui,
- tu pourrais p'tête remonter dans son estime.