ultramoderne solitude

001. y'a eu le coup de foudre qu'ils arrêtent pas de dire. y'a pourtant la vérité derrière qu'est un peu moins fun, cassage d'un ménage sous-prétexte d'avoir trouver l'amour avec un grand a. y'a eu le mariage en deux-deux complètement à l'arrache, la promesse d'une fuite et de l'american dream alors qu'ils avaient que vingt balais. elle était déjà en cloque daniela, quand elle a posé les pieds sur le territoire, la face marquée par l'idéalisme façon dame liberté. y z'ont trouvés de quoi crécher du côté d'east harlem, elle a donné naissance au premier, puis au second, puis à la dernière. c'est qu'elle a eu le temps d'apprendre l'anglais, entre ses quatre murs, c'est que lui a enchaîné les petits boulots mal payés, en hochant la tête et en feignant un grand sourire. y'a pas eu masse de blé chez les segovia rojas, pourtant ça valait ce que ça valait, une éducation placée sous la droiture, sous le y'a pas de sous-métier, sous le t'arriveras à mieux, sous le la mif avant tout. 002. l'était pas spécialement mauvais à l'école, guillermo, l'était au même niveau que les autres, tapait pas dans les grands honneurs de quoi servir un seize chaque matin. l'était dans les onze puis les douze puis les dix de moyenne. tapait ses meilleurs sprints en cours de sport puis balisait sur deux ou trois oeuvres en anglais, l'avait son dessin d'accroché sur le frigo quand y faisait péter les scores en cours d'arts plastiques pour les tous petits. y se démarquait pas, guillermo, l'avait pas un caractère aussi affirmé que rodrigo le plus grand, l'avait pas droit au pardon facile comme rosa la dernière. l'était là, de quoi animer les questions, de quoi pas pouvoir répondre, à s'enfoncer dans son verre de coca durant les fêtes de fin d'année et sauter au plafond quand y recevait les sonic. 003. un jour y dit qu'il finira basketteur, l'autre qu'il aura de quoi suspendre une belle ceinture de boxe dans la caté' poids lourds, puis des fois y se dit qu'il écrira des grands bouquins. à chaque fois il y croit franco, tout en changeant chaque semaine d'idée, de quoi comparer ses envies à un piaf qui tape mille-deux-cent battements par minute. y dit des tas de trucs, guillermo, le fait est qu'il enchaîne les petits boulots tout en trouvant la foi de se la jouer esprit saint corps saint en faisant combo avec un jogging matinal. l'a les amours qui viennent puis qui partent, les premières gifles et les adieux larmoyants, y s'y fait à un quotidien qu'il traîne en balluchon de fortune. 004. y prétend pas aux grandes études, guillermo, se voit mal sur les bancs de l'école et de toute, le biff manque autant que la bourse qu'il vise pas comme ultime ligne d'arrivée. alors quand y peut y se met à bosser, enchaîne les quelques contrats qui se proposent et trouve un semblant de stabilité en tant que serveur dans un restau' italien. y copine avec le fils qu'a dans sa check-list avant de mourir de faire un foodtruck plein de bonne bouffe indienne. 005. y'a pas la même hype qui se lit sur sa tronche, pourtant y l'accompagne ce gars dans son morceau de rêve à lui, qu'a réussi à lui vendre sur un plateau d'argent en lui prouvant qu'il sait claquer un beau poulet korma. l'a dit oui guillermo, la face déformée par un éclat de rire, fallait bien se défendre devant les banques, fallait la jouer dream team. z'ont réussis à se lancer dans le biz, des mois à retaper un taco pour en faire une bête de compet', ça partait d'un bon sentiment, ça partait bien tout court. y'avait la clientèle quasi habituelle, l'était capable de savoir à quelle heure viendrait qui, qui prendrait quoi, l'était pas aux fourneaux, l'était en devanture, à en faire des caisses pour fidéliser, vendre un coup au coeur plutôt qu'un bide blindé trois étoiles. ç'a pas suffit, ç'a duré quasi deux ans avant la banqueroute. 006. l'a rencontré adel entre deux services, à petit à petit faire place le samedi à midi ou au soir, à avoir ses crises tantôt dans la répétition de plat que dans le changement brutal. saurait pas dire à quel moment ç'a fait tilt, au détour d'une conv' sans grands sujets, les banalités qui meurent dans un coin, un bonjour et un au revoir devenu un salut puis un ciao. ça s'est étalé sur plusieurs mois avant qu'il propose de boire un verre après la fermeture. ç'a fait match sans tinder ou grindr qu'il avait désinstallé une semaine plus tôt.

- j'sais pas on pourrait juste
boire un verre
comme ça
sur terrasse ou pas
je sais pas
ce que tu veux toi
ça me va

- et maintenant
on pourrait juste
j'sais pas
tu pourrais peut-être
enfin
venir chez moi
ou que j'vienne chez toi
je sais pas
ce que tu veux
toi
ça me va

- et te voir tous les jours
ça me va aussi
et t'attendre
et te dire
des tas d'trucs
reste

007. l'a pu rebondir malgré tout, guillermo, le dégoût calé sur sa mâchoire et la première annonce attrapée au vol, les entretiens qu'il s'est enfilé en crise d'hyperphagie. y'a eu un oui, un rappel au bout de deux jours, l'a eu les glandes d'avoir sa chance uniquement du côté d'une usine aux relents d'écailles. 008. l'a tenu neuf ans avant d'arriver à saturation, la surchauffe qu'éteint les lampadaires de toutes les rues. l'a fini par se lever le matin, guillermo, sans la bonne pulsion d'une journée différente des autres, sans se dire aujourd'hui c'est neuf, aujourd'hui c'est bien, aujourd'hui c'est même pas si mal. pensée coupée nette au couteau fraîchement aiguisé, l'est entré dans la spirale jusqu'à lui filer la gerbe. ç'a duré des mois avant qu'il foute des mots dessus, ç'a duré des mois jusqu'à ce que la bougie s'éteigne de son propre souffle. y s'est mis à chialer, y s'est mis à étouffer le reste avec la main posée sur la bouche, l'amertume d'avoir loupé sa vie, d'être passé à côté. un acte-manqué jamais récupéré. c'était tout creux à l'intérieur, c'était tout vide à l'intérieur, un trou fait à la hache.

- accident de métro
de bus
une explosion
un grand
je veux dire
une déflagration
sans douleur
et là mon blase
dans les journaux
pas d'oubli
je crois
je veux dire
j'attends le métro
le bus
la déflagration

je sais pas comment tu

fais

j'ai pas
et si demain je
j'attends le métro
le bus
la déflagration

009. y'a une genre de décharge quand y se prend un pain dans la gueule, de quoi lui décocher la mâchoire et lui refaire le portrait. y'a un genre d'éclatement quand y s'y met à son tour, sans stase, sans trans, peut pas dire qu'il est partisan du silence. la chair qui se décolle, carcasses qui tombent à même le sol, souffle coupé d'une baston pariée. montée d'adré' qui suspend son corps au-dessus du vide. côtes fissurées arcade déchirée épaule déboîtée genoux lacérés. 010. la nausée quelque chose qui change qui bouge n'est plus la même n'est plus le même c'est comme ça ici ou là dans la caresse dans le silence dans les baisers dans la main qui passe sur la courbure du dos qui se creuse

- y'a quelque chose
en toi
tout en toi
adel
regarde /
j'en sais rien
ça bouge ça change ça se modifie ça /
tu /
t'as l'air de te battre
en solo
contre ton corps
c'est
cette grimace sur ton visage /

la vie en rose. l'odeur de l'essence, de la pluie sur le bitume et du foin, le pabellón criollo de son père, le claquement du vent sur les volets, le parquet qui grince, le renfoncement dans le canapé, les films d'horreur, rouler ses clopes, laisser les papelards s'entasser dans sa boîte aux lettres, les dessins gravés au compas sur la table basse qu'il a récup' gratis, les doigts dans les cheveux.