001. Il n'y a pas grand chose à dire. C'est encore et toujours la même histoire. Deux personnes qui se rencontrent, qui s'attirent. Chacune avec sa version de ce fameux coup de foudre qui résulte en une vie commune, en des projections d'avenir erronées. Certains cherchent encore ce que ces deux-là ont pu se trouver. Des rêves de mieux murmurés à l'oreille, des promesses de réseaux grâce à sa position d'entrepreneur pour lancer une carrière d'actrice, de chanteuse ou que sait-il encore qui ne décollera jamais. Toujours est-il que la fortuite rencontre s'est résulté en Dante, pseudo ciment du couple jusqu'au divorce, quelques années plus tard. 002. De son enfance, il n'a pas grand chose à dire. Fils unique pendant 12 ans, presque 13, il a grandi en toute quiétude, en toute autonomie. On vante sa débrouillardise, son intelligence. C'est un enfant si calme, dit-on aux tantes, aux oncles, quand on les retrouve à chaque vacances en Italie. Heureusement, murmure-t-on dans leurs dos, parce qu'il n'est pas aidé, avec des parents aussi désinvoltes, aussi à l'ouest. 003. Et puis, c'est le coup de massue. Il ne l'avait pas vu venir celle-là. Un soir, on l'assit sur le canapé, son père et sa mère face à lui. C'est fini, ils ne s'aiment plus. Mais rien ne changera pour lui, lui assure-t-on. Non, rien du tout. Cela sera même mieux, non ? Deux chambres, deux lieux de vie. Dante n'y croit pas trop, à ces promesses vides de sens. Mais il ne dit rien, n'a pas son mot à dire de toute façon. Et laisse une colère naissance prendre place dans sa poitrine. Surtout que rien ne se passe comme ils l'ont promis. L'amerturme s'accapare de sa mère, surtout lorsqu'elle apprend que le paternel trouve d'autres chaussures à son pied, plus jeunes, plus jolies selon certain.e.s. Plus idiotes, souffle-t-elle sans prêter attention à la présence de son fils, à l'image de son ex-mari. Pour qu'au final, les deux parties refassent leur vie, avec Dante au milieu, la rage au ventre, la sensation d'être délaissé comme étendard. 004. Un appel un soir, en Février. Son père est parti à Venice, avec sa nouvelle femme, enceinte jusqu'aux yeux. Lui, Dante, est coincé chez sa mère, la rigidité est de mise sur le partage de la garde. Et puis, la nouvelle tombe. Une demi-soeur. Logique, lui diriez-vous et pourtant, malgré la grossesse, il avait encore l'espoir enfantin que ce n'était qu'un mauvais rêve, une mauvaise blague. Les premières semaines, il avait refusé de la voir, de retourner chez son père, avant d'y être obligé. Rien n'augurait une bonne entente entre les deux, le fiston bien déterminé à tout gâcher. Mais c'était sans compter sur Franca. Il a fini par la trouver tolérable, sûrement parce qu'elle ne l'a jamais dénoncé, après l'avoir trouver en train de fumer dans sa chambre quand il avait 17 ans. Par la suite, il en est venu à l'adorer, oubliant le "demi" devant soeur quand il en parle, de cette gamine à l'humour particulier, qui ne manque jamais de lui arracher un sourire. Elle est sa préférée, éclipsant sans conteste ses demi-frères du côté maternel.  005. Le lycée est fini, il est temps de prendre son envol. Choisir la suite de son parcours scolaire fût une véritable prise de tête. Rien n'était pas une option. Et il était hors de question de suivre les pas du père, ou de la mère. Non, il voulait quelque chose d'unique, qu'on ne pourrait rattacher à personne de sa famille. Il avait postulé à des universités lointaines, pour s'éloigner. Et pourtant, lorsqu'il fallut choisir entre les différentes acceptations reçues, il resta dans le coin, comme s'il était incapable de réellement s'éloigner. Quand on lui demande, il dit simplement qu'il ne pense pas supporter le climat de l'Illinois. En vérité, il n'a pas envie de laisser Franca seule avec leur père, de rater les événements importants de la vie de la jeune fille.   006. L'entrée à l'université ne se passe pas aussi bien que prévu. Enfin, les difficultés sont arrivées un peu avant. Depuis qu'il a fêté ses 18 ans, visions et cauchemar hantent ses nuits mais également ses jours. Cela lui arriver n'importe quand, le tétanise. L'enfonce dans un certain mutisme, refusant d'avouer que quelque chose ne va pas lorsqu'on lui demande. Le stress devient son excuse, son quotidien. Ce n'est rien, c'est la peur de rater, la peur de décevoir, la peur d'avoir mal chois ses études. Ça arrive à tous les jeunes, non ? Non. Il voit bien que ses camarades ne vivent pas la même chose, pas tous. Et le plus simple pour oublier, c'est plonger tête la première dans le monde la Fête. Il n'a pas l'âge de boire mais ce n'est pas un problème. Enfin si, mais il y a des solutions, des adresses qui circulent. Tout pour ne pas dormir, pouvoir accuser quelque chose, quelqu'un pour les flashs qui le prennent en plein jour. Il manque la plupart des repas de famille, invoquant la charge de travail, la fatigue. On ne remet jamais en doute sa parole : ses résultats sont corrects. Et son apparence de garçon calme aide amplement. 007. Les "crises", à défaut de savoir comment les appeler, se cantonnent à la nuit. Il est bien heureux d'avoir supplier pour un studio dès le début de ses études supérieurs, avec un discours bien ficelé et culpabilisant. Personne pour rouler des yeux quand il se réveille en sursaut, quand il accepte enfin de succomber au sommeil. Son rythme de vie ne s'améliore que de peu : il a appris à cuisiner. Voilà. Pour le reste, les cendriers continuent à se remplir, les fêtes, les moments où il se met la tête à l'envers à se suivre et le bordel, à s'accumuler. Il ne ramène jamais personne chez lui, surtout pas pour passer la nuit. Non, il préfère s'inviter chez les autres pour froisser les draps et repartir dès que possible. C'est également le moment où il se prend de passion pour la serrurerie. Oui. Les serrures. Il apprend à les crocheter. Pour le plaisir, dit-il. On ne sait jamais, ça peut toujours servir. Il ne sait comment expliquer cette envie continu de garder les passages ouverts, comme son champ des possibles.  008. On a toujours complimenté ses yeux, leur accordant une couleur verdâtre, bleutée ou grisâtre selon la bonne volonté de la météo mais aussi des gens. Depuis peu, certain.e.s lui parlent de doré. Il ne sait que faire de cette information. 009. Depuis quelques temps, il semble se calmer. Le monde de la nuit reçoit moins sa visite. Il a le regard plus mélancolique. Il est plus souvent dans ses pensées, distantes, lointaines. Il ne se sent pas plus calme, pourtant. Des souvenirs qui ne lui appartiennent pas se jouent de lui. Il continue à fumer nerveusement, sauf chez ses parents, qui ne le savent toujours pas ou sont dans le déni le plus complet, allez savoir. Diplômé. Avec un emploi. Il a quitté son cocon estudiantin pour un appartement deux chambres, au dernier étage d'un immeuble.  010. Bien qu'il affirme le contraire, parfois, il est à deux doigts de croire les théories abracadabrantes de sa soeur. Vraiment, les aliens ou les reptiliens lui semblent une meilleure explication pour l'enfer qu'il vit depuis ses 18 ans que cette impression de divin qu'il a, appuyée par des souvenirs qui ne sont pas les siens. Mais jamais, au grand jamais, il ne l'avouera. Il hésite parfois à lui en parler, pensant qu'elle est la seule qui le croira et qui, peut-être, l'aiderait à comprendre. Mais il préfère le silence, les conversations sur son état de fatigue, ses sauts d'humeur détournées sur d'autres sujets.