the sea of tragic beasts.

(cw) cigarettes, accident, meurtre Thomasin écrase son mégot fumant sur le bitume noirâtre et un juron coloré lui échappe des lèvres. Il commence à se faire tard et la cité des parures, toutes encrassée de crimes et de péchés, ouvre ses yeux brillants, de néons et de réverbères vacillants, un à un, ici et là. La vieille personne qui attend au pied de l’immeuble silencieux n’a pourtant pas l’intention de se joindre aux festivités, à cause non pas de son âge avancé, mais plutôt de son désir de revoir son aîné, cet abruti de première qu’iel a revu pour la dernière fois aux bacchanales. Iel sent que les choses sont restées en suspens avec lui, qu’il faudrait s’expliquer, cesser de se voiler la face — une fois n’est pas coutume. Car c’est toujours comme ça, avec Cassandre, les non-dits noircissent leurs existences jusqu’à prendre toute la place, jusqu’à ce qu’on ne voit plus qu’eux. Avec Ambroise, c’est plus facile, il lui semble que son cadet se bousille la vie depuis le premier jour, par son essence même. He dreams his life away. Cassandre, c’est plus subtil, plus insidieux, parce qu’il n’a pas toujours été ainsi. Ça a commencé par son accident. Puis, le meurtre d’Alfred. Une sale affaire qu’ont à peine ébruitée les journaux. Ça a vraiment été le point de rupture pour lui.

Iel profite de la sortie d’un‧e résident‧e pour entrer dans l’immeuble, incognito. En s’appuyant par intervalles sur sa canne, rien de plus qu’une vulgaire béquille pour ses pauvres jambes pour quiconque ignorant la présence sournoise de Geras dans les méandres de son esprit, la silhouette quelque peu courbée emprunte l’ascenseur, heureusement vide. Iel ne se sent pas d’humeur à philosopher avec saon prochain‧e sur les platitudes de la vie, car Dieu sait qu’il existe de par le monde des enquiquineur‧euse‧s qui aiment un peu trop le son de leur propre voix. À soixante-dix ans, Thomasin ne le sait hélas que trop bien. À l’étage où réside son fils, iel s’avance dans le couloir plongé dans la pénombre. Encore quelques mètres et iel pourra enfin s’asseoir, se reposer. On ne peut pas dire que cette fatigue constante avait manqué à Geras, un état duquel souffrait son corps d’antan à toute heure du jour et de la nuit.

Une porte s’ouvre soudain. Celle de Cassandre. Sitôt refermée, le visiteur nocturne ne s’attarde pas, il se dirige vers l’ascenseur et croisera la route de Thomasin dans quelques secondes. Par pure curiosité, iel dévisage ce gars venu rendre visite à son fils. L’une de ses drôles de fréquentations, à n’en pas douter. C’est alors que son visage titille sa mémoire et qu’iel le reconnaît, contre toute attente. Les traits de Thomasin s’assombrissent. Au moment où les deux personnages se croisent, iel dégaine sa canne, telle une épée, et l’utilise pour bloquer le chemin du jeune homme. Chez les Owens et les Gerrard, on aime les entrées en scène dramatiques. Amber, comme ça fait longtemps. Qu’est-ce que tu deviens, ces temps-ci? roucoule-t-iel d’un ton faussement amical. Occupé à boire tout ton soûl jusqu’à ne plus savoir reconnaître ta gauche de ta droite? Mais encore assez conscient pour pouvoir ouvrir ta grande gueule, semble-t-il? L’exemple n’est pas anodin. Bien sûr qu’il ne l’est pas. Et Amber le sait. Sans aucun doute.

Sur le coup, Thomasin ne songe pas au lien qui l’unit à son fils. Iel ne songe qu’aux funestes péripéties accablant la famille Owens depuis cinq ans. Cinq ans qu’iel cherche à mettre le grappin sur le véritable auteur de la tragédie.

Il semblerait qu’il existe bel et bien une justice divine en ce monde.

ange morose