tw : travail du sexe, vulgarité, violence physique et sexuelle

« Mary ? Elle cogne parfois, ouais. Jamais au point de vraiment casser quelqu'un, enfin, pas encore... Mais prépare toi à prendre. »

Elle rit et roule des yeux.
Depuis le premier soir où elles se sont croisées, Alex a compris. Pas tout, oh non, et pour cause : il y a des prédateurs qui se délectent autant du mystère que du reste. Elle a perçu l'intérêt, dérangeant, envahissant, tapissé sur les traits de la cliente. Il y eut d'autres rencontres, chacune se glissant un peu plus loin sous la peau d'Alex, tel un parasite se nourrissant de son imagination.

Et de son imagination, à n'en pas douter, est né le rêve.
Un homme, vêtu d'un habit impérial, la toise. Son regard est mauvais, empli d'un désir malsain et destructeur. Il s'approche, lui saisit le menton sans crier gare et ouvre la bouche pour dire quelque chose, quand son visage change brusquement, devenant celui de Mary Ryuzaki. La peur d'Alex enfle et elle tente de fuir mais alors qu'elle tourne le dos, quelque chose s'abat sur elle et la plaque au sol. Une main puissante, pire, une griffe aux proportions absurdes, la tient face contre la pierre alors que dans un grondement, le bâtiment autour d'elle s'écroule pierre par pierre.

Une seule fois, ce songe l'a réveillée en sueur. La sensation d'étouffer, enterrée vivante ou écrasée par cette force incompréhensible, l'a suivi des jours durant.

Elle pensait s'en être débarrassée, mais l'annonce de sa prochaine cliente lui a fait l'effet d'une condamnation. Putain de bordel de merde, pour reprendre ses mots de cosmopolite mal éduquée.

« Dans le petit salon rouge. Et classe, la tenue. Comme si les gens comme elle savaient apprécier ce qui est classe ou non... »

Ses supérieurs avaient ri grassement de la cliente, causant la confusion d'Alex. Mary a pourtant l'air carrément friquée - mais c'est vrai qu'elle ne l'a jamais vue durant les soirées les plus mondaines du Pierre.

Oh, pétale. Ils rient et toi, tu vas pleurer. Ne t'inquiète pas. J'en effacerai chaque minute. Tu aimes cet endroit, non ? C'est un petit prix à payer, pour l'instant. Le temps venu, ça n'aura plus d'importance. Eux aussi, ils oublieront, même leurs plaisirs sordides et le tort causé à ta chair : tout sera effacé.

Pleurer ? Fuck that. Alex adresse un doigt d'honneur à son miroir, à l'intention de l'ennemi invisible ayant pris ses quartiers dans sa cervelle. Elle finit de se maquiller, enfile une robe aux reflets d'argent, fendue à la cuisse.

« Je t'en foutrais, du classe, marmonne-t-elle tout en s'affairant. C'est pas comme si t'allais pas me la déchirer en trente secondes. »

Soupir. Allez, dernière ligne droite. Le précieux sac, les chaussures qui lui font toiser les étoiles, ne reste qu'à traverser le Pierre pour rejoindre le petit salon. Doté d'une décoration outrageusement rouge et or, l'endroit n'a de petit que le nom, plusieurs pièces composant cette « suite dans la suite ». L'endroit a déjà été parfaitement apprêté, des pétales de rose sur le lit (émoji vomi) à la bouteille de champagne au-nom-péteux sur la table basse. Mary a dû mettre un sacré paquet de fric pour avoir cet endroit.

« C'est moche, crache Alex en s'allumant une clope. »

Cinq minutes d'avance, ça suffirait peut-être pour calmer ses nerfs à coup de nicotine, ou à défaut, à coups d'insultes adressées à la déco.
Le bruit de pas, comme toujours reconnu bien avant que la main ne se pose sur la poignée, la fait bondir loin de la porte.

« Merde, merde, merde. »

À la hâte, elle écrase sa cigarette sous son talon et la chasse sous le tapis. Grande inspiration. Comment on éteint son cerveau, déjà ? Sauf la partie qui sert à avoir l'air baisable.
Ok, main sur la hanche, sourire racoleur.
Penser à la sécurité offerte par le Pierre. Ne pas penser au rêve.
Voilà, tout est sous contrôle, ou presque. Le champagne ferait le reste du taff, si on l'autorise à y toucher.

« Miss Ryuzaki. Je me demandais quand vous me rendriez enfin visite. »

(Putain, la gerbe. Fais plus obséquieux, Alex, te prive pas : peut-être que si tu l'énerves assez vite, ce sera terminé en deux-deux.)

tw sur tout le sujet : violences physique et sexuelle, vulgarité, travail du sexe, putophobie, objectification de l'être humain, évocation de cannibalisme.

Mary ne s'est décidée à acheter Alex que lorsque son image est devenue si prégnante qu'elle a commencé à lui poisser l'intérieur du crâne. Son égo pourrait évidemment rechigner à l'idée d'être à ce point obnubilé par une putain, mais la vérité, c'est que la situation est en fait terriblement accommodante. Elle n'a pas besoin de s'encombrer des ébats de cours modernes et de préliminaires affétés, qu'elle dévoue de toute façon trop à Lavinia pour en gratifier qui que ce soit d'autre.

Il suffit d'aligner les billets et de consommer jusqu'à plus soif.
Jusqu'à plus faim.
Et elle a faim. Trop faim, aujourd'hui, pour s'encombrer de jolies manières ou n'est-ce que de la moitié d'un sourire.

Soit. On lui déroule rapidement le tapis jusqu'au petit salon rouge. Elle, se contente d'y essuyer ses talons aiguilles puis d'enfoncer la porte sans trop de délicatesse. Elle se serait davantage attardée sur le décor si elle n'en avait absolument pas rien à foutre à l'instant T comme à n'importe quel instant, d'ailleurs. Le plus souvent, il s'agit seulement de faire démonstration de son indécente fortune. Mettre les filles à l'aise ou les rendre plus disposées est tout juste un bonus.

La présence d'Alex commence à lui parasiter les sens, mais Mary lui adresse à peine un regard égal quand elle se dirige vers la bouteille de champagne pour se servir un verre, faisant flotter derrière elle les pans d'une robe ébène.

« Déshabille-toi. »

Pas de bonjour, et encore moins de réponse à la déférence de son invitée. Avant qu'Alex n'ait eu le temps d'esquisser un seul mouvement, la créature se rapproche pour agripper la mâchoire de sa pleine main libre. Ses phalanges blanchissent un peu à la prise, alors que son menton se soulève pour mirer la putain d'un regard haut. Des bourrasques de vent paraissent désormais lui lacérer les poumons. Alex est belle. Et Mary la veut. Maintenant. Au bout d'une seconde ou deux, elle la relâche, ou plutôt, la jette pour instiguer chez son hôtesse un mouvement vers le lit. Elle, retourne vers la table basse pour attraper la seule coupe de champagne qu'elle a daigné remplir.

« Dépêche-toi. Aboie-t-elle les mots. »

Une gorgée lui dévale la trachée, tandis qu'elle observe la silhouette du coin de l'œil.

Elle n'est rien et Mary est tout. C'est écrit en grandes lettres sur la toile d'ébène dont elle se pare, dans l'absence des quelques mots échangés dont même les plus rustres des clients s'encombrent et...

Les doigts se referment sur sa mâchoire, serres d'un oiseau de malheur. Le coeur d'Alex s'emballe, il frappe frénétiquement contre ses côtes. Ses billes s'écarquillent d'une terreur irrationnelle. Le rêve. C'est exactement comme le rêve. La douleur passe au second plan, disparaissant dans la panique dont l'escort est prise. Le mouvement, qui la repousse, brise le sortilège et elle prend enfin une inspiration, après avoir retenu son souffle sans même le réaliser.

Elle hoche en silence, s'asseyant sur le bord du lit. Ressaisis-toi, Alex. Si tu te foires, c'est pas un job que tu perds, surtout si tu contrarie cette femme-là. Allez, c'est rien. T'as l'habitude qu'on te parle comme ça, en plus.

Alors pourquoi chaque mot qui claque dans l'air la fait se tendre davantage ? Elle frissonne sous ce regard qui la dénude déjà. Les bretelles tombent puis la robe finit de rouler jusqu'au sol, à peine freinée par les hanches. Elle entreprend de défaire le porte-jarretelle, mais le mouvement de ses doigts se fait tremblant, hasardeux.

Le rêve. Il faut juste effacer le r...

Yeux rivés au sol, une lueur iridescente passe dans ses pupilles mais disparaît aussitôt, la laissant encore plus confuse. Elle peine désormais à se souvenir de ce dont elle a peur - mais la terreur est toujours là, lovée au creux de son ventre.

"Merde" comme tu dis. Désolée, pétale, j'aurais essayé.

Finir de se déshabiller. Vite. Est-ce que des putes ont déjà disparu, au Pierre ? Oui, lui répond une petite voix qu'elle regrette soudain de ne pas avoir écouté plus tôt.

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A rebours, Mary relève une cassure chez Alex. Pas tant parce qu'elle est observatrice que son impression d'alimentation décline mollement. Trop peu pour qu'elle le remarque tout de suite. Assez pour qu'elle en soit davantage frustrée.

La créature manque de briser la coupe entre ses doigts, et laisse entrevoir un éclair de colère. Puis ses traits se lissent à nouveau lorsqu'elle se rapproche de la putain pour lui tendre le verre. On croirait à un effort de conduite, à un ersatz de politesse, mais avant qu'Alex ne se décide ou n'esquisse de mouvement en direction du champagne, Mary renverse son contenu réfrigéré pour le faire ruisseler le long du cou, entre les seins, et contre les flancs. Ses pupilles noircies suivent le liquide qui roule contre la peau avec un intérêt grandissant, alors qu'elle contraste de plus en plus avec la sclère rougeoyante.

Elle a faim.

Et déjà, elle s'imagine mordre dans la carne. Lui dérober à jamais son sourire et se graver si profond dans les mémoires que la trace en deviendrait indélébile.

« Tu n'es plus si loquace. Qu'est-ce qu'il t'arrive ? »

Mary connaît la réponse. Elle. C'est évident. Comme tant d'autres bêtes, elle n'a survécu à l'oubli collectif que par la peur. La sienne, de peur, celle qu'elle aime répandre et qu'elle inspire, est parasite et viscérale, à contaminer un corps pour se transmettre à un autre, à voyager de lèvres en lèvres pour terminer leur voyage dans des bouquins.

Tout de même. Elle la fantasmait plus téméraire. Plus bravache.

« Regarde-moi. Demande-t-elle. Est-ce que tu as peur ? Demande-t-elle encore, amusée. »

L'ombre d'un sourire mauvais effrite le coin de la bouche, tandis qu'elle envoie valser la coupe vide plus loin, contre le mur. Le verre éclate en mille morceaux à quelques mètres du lit sans que Mary ne cille. Puis le prédateur se rapproche, louvoie à quelques centimètres du visage. Ses mains viennent se poser de par et d'autre du lit, comme pour empêcher la putain de fuir. Elle peut sentir le souffle chaud contre le sien, et se plaît à imaginer les battements erratiques du cœur au travers du simple regard.

« Ne t'inquiète pas. »

Ce n'est qu'un murmure qui menace à demi, une dague dissimulée dans les pans de sa gorge.

« Tu m'es bien plus utile en l'état. »

Vivante, laisse-t-elle planer.
Et quelque part, peut-être que l'idée est encore plus terrifiante.